Libre et difficultés

Posted on 10 December 2013 in Libre • 4 min read

J’ai récemment vu passer cet article de slate.fr (Notre Mai-68 numérique est devenu un grille-pain fasciste) sur quelques shaarlis et cet autre article (Éloge funèbre d’un Internet libre et ouvert, par son assassin) sur le blog d’alias.

Une phrase dans ce dernier article reprend une idée classique selon laquelle le libre n’est qu’un “truc de barbus”, qu’il faut déjà faire partie des barbus pour utiliser un logiciel libre, étant donné l’attention portée à l’interface, etc.

Mais je reste persuadé que, pour cela, il va falloir faire changer beaucoup de mentalités: d’une part, celle des utilisateurs, qu’ils prennent conscience du danger des systèmes fermés et centralisés, mais aussi des communautés hacker/open-source, qui doivent faire de gros efforts de simplification et de pédagogie pour faire des produits que même les plus technophobes voudront utiliser.

Personnellement (et de toutes façons, ce billet ne sera qu’un avis personnel sur la question), je l’avoue, je n’aime pas développer d’interface. Je ne suis pas un fabuleux UI designer et une fois que j’ai un code fonctionnel, j’admet volontiers que j’ai tendance à m’en désintéresser, étant capable de l’utiliser et n’ayant pas le temps de développer plus le côté user-friendly. C’est certainement dommage, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse… Mais ce n’est pas le cas de toute la communauté du libre, heureusement.

Ainsi, on peut citer la fondation Mozilla qui a voulu (et a réussi à !) conquérir les Mme Michu avec son navigateur open-source : Firefox. De même, LibreOffice fonctionne très bien et est de plus en plus adopté par des gens qui ne sont pas technophiles du tout.

En revanche, en s’engageant dans cette voie et en cherchant à séduire Mme Michu à tout prix, on court le risque de simplifier à l’extrême les développements, afin d’être à la portée de tous. On aboutit alors à une merveilleuse interface graphique à trois boutons, qui va certes séduire tout le monde, mais ne couvrira que 0.00(insérer autant de 0 que vous voulez ici)0001% du logiciel. On pensera notamment à toutes les surcouches à ffmpeg, qui ne vous apprennent en rien à utiliser ffmpeg, vous limitent les options disponibles plus qu’autre chose et surtout vous cache tout ce qui se passe en arrière-plan.Faut-il alors au contraire garder l’esthétique de la ligne de commande et former l’utilisateur à utiliser le logiciel, et à comprendre ce qu’il se passe en arrière-plan ? Pas sûr que ce ne soit une meilleure idée non plus…

La question est également de savoir à quoi vise l’open-source. Le but est-il de fournir des logiciels adaptés aux end-users ? Vu le travail à fournir, cela voudrait dire diviser considérablement le nombre de scripts et de programmes. Ou alors faut-il garder cette multitude de logiciels et laisser les utilisateurs les plus doués techniquement trier et adapter ceux qu’ils jugent réellement nécessaires pour tout le monde ? De plus, un logiciel avec une interface graphique rudimentaire, voire en ligne de commande, laisse transparaître complètement ce qu’il se passe en arrière-plan. L’utilisateur a un contrôle total sur les actions du logiciel et peut appréhender l’ensemble des options.

C’est à mon avis un des principaux intérêts de l’open-source : permettre aux utilisateurs de comprendre comment cela fonctionne et ce qu’il se passe derrière l’interface graphique. Alors certes, c’est rebutant et c’est dur au début, mais n’est-ce pas parfaitement réjouissant d’enfin comprendre comment fonctionne la machine ? J’ai personnellement plus appris en me débrouillant pour faire fonctionner des logiciels open-source (mais j’en ai également beaucoup abandonnés faute de documentation suffisante) qu’en cliquant sur un bouton pour avoir ce que je voulais (et la plupart des personnes qui découvrent la ligne de commande, qui commencent à programmer un peu, et qui comprennent alors réellement ce qu’est vraiment un “bug”, dans mon entourage, me le confirme). Cliquer sur un bouton ne vous apprendra jamais à vous débrouiller seul, et ce n’est nullement rendre un service aux utilisateurs à mon avis. Cliquer sur un bouton pour que ça fonctionne, c’est pratique à 90% du temps, et ça permet d’aller plus vite sur certaines actions, mais ce n’est pas utiliser son ordinateur à mon avis, ce n’est qu’utiliser une infime partie des possibilités de l’ordinateur. (Et ne parlons même pas des cours d‘“informatique” dans lesquels vous apprenez à utiliser Word… ce n’est pas de l’informatique…)

Après, je ne suis pas d’accord sur le fait que la communauté open-source / hackers / geeks soit hermétique et fermée. Personnellement, je suis prêt à passer du temps à aider quiconque voudrait un coup de main, mais je ne veux pas le faire pour rien. Et le problème est sûrement plutôt de ce côté-là. Combien d’utilisateurs veulent “juste un système qui marche” ? Combien d’utilisateurs veulent mettre leur cerveau de côté et cliquer sur des bonbons rigolos et colorés dans un jeu bien connu sur un réseau social tout aussi connu plutôt que de comprendre ce qu’il se passe derrière ? Combien d’utilisateurs sont prêts à passer sous Linux en conchiant les idées et la philosophie associés ? J’avoue que dans ces situations, j’ai juste l’impression de me faire exploiter, et je n’ai aucune ambition d’ouvrir un service d’assistance informatique prochainement. Je pense que le problème est principalement à ce niveau, entre la différence de compréhension et d’appréhension de l’ordinateur par les différentes communautés, qui du coup, n’arrivent pas à échanger.

Cf ce comic parfaitement illustratif :)